« Viens, on va marcher un peu. »
En sortant du restaurant, si anodine soit-elle, cette phrase me fait l’effet d’une bombe. Marcher un peu ? Mais on a déjà marché une heure avant le restau ! C’était chouette d’ailleurs. Une heure à travers les coquillages et les rochers couverts d’algues, à longer les incroyables propriétés qui surplombent la pointe du Penchateau. On avait l’impression d’être seuls au monde. Au détour d’un rocher, là où l’océan s’enfonce un peu plus dans les terres, on n’a soudainement plus entendu que le silence du vent marin, aux saveurs de sel et de sable.
« Viens, on va un peu plus loin. »
Malgré l’humidité du sol et mes sandales trop légères, j’avais besoin de savoir, de voir ce qu’il y avait derrière. J’ai insisté pour qu’on s’aventure le long de cette côte sauvage, guidée il faut bien l’avouer par l’indomptable curiosité de m’approcher au plus près de la somptueuse demeure du big boss de l'époque. Il a tendu le bras, j’ai attrapé sa main. D’un pas léger j’ai écrasé quelques bigorneaux en sautillant sur les cailloux. « Tu crois que c’est bon les bigorneaux ? » Après tout, ils en bouffent bien dans The Island. Je me suis demandée si ça valait le coup de goûter, une fois, juste pour voir. Et aussi pourquoi le proprio de la grosse baraque rose l’avait peinte de cette couleur. Là, tout au bout du parcours, on percevait au loin le phare du Pouliguen, et là-bas l’Hermitage. Le concert de jazz du bar de la plage résonnait sur les vagues comme une lointaine rumeur.
« Viens, on va marcher un peu. »
En sortant du restaurant, parce qu’il m’entraîne dans une direction opposée à celle de la maison, le doute n’est plus permis. Il y a baleine sous gravillon. Mais je le suis. Après tout, l’air est doux, on voit les étoiles, et après les 2 semaines dégueu qu’on vient de se farcir à Paris, je serais bête de faire la difficile. Là-bas, il pleut encore, et ce soir la Seine devrait atteindre son pic de crue. Et puis, il a l’air si serein.
« Viens, on s’arrête ici. »
La sérénité d’il y a 3 minutes laisse subitement sa place à une angoisse enivrante, et j’ai l’étrange impression d’être en train de parcourir les dernières lignes d’un livre. Tu sais, quand on sent que la fin est proche, et que l’on freine délibérément le rythme pour profiter de chaque mot, de chaque lettre, de chaque instant. Parce que le dénouement attire et effraie, tout ça en même temps.
« C’est fou comme on voit bien la Grande Ours ! » « Attends j’ai du sable dans les cheveux. » « A Paris on ne voit pas les étoiles. Trop de pollution tu comprends. » « Il était bon ce restau. » « Tu en penses quoi ? » « Tu penses à quoi ? » « C’est quoi ces lumières au loin ? » « Et puis bon sang pourquoi ton cœur bat-il la chamade ? »
En 7 mots, c’est lui qui a refermé le livre. Un livre de 2 ans et des brouettes. On ne s’entendra jamais sur la date de toute façon.
Il se lève, pose un genou à terre. Est-ce que tu veux m’épouser ?
Vivre et mourir à tes côtés ? Et tout ça pour l’éternité ?
Oui. Je crois. Mais recommence s’il te plait, j’étais pas prête, je suis stressée.
En 3 lettres, un nouveau livre s’est ouvert.
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